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  • Sam Pickens, invité d’honneur de la cérémonie de remise des diplômes de l’Académie Aga Khan de Hyderabad, prononce un discours devant la promotion 2019 et les invités.
    AKDN / Pixlike Creative Works
Cérémonie de remise des diplômes de l’Académie Aga Khan de Hyderabad

Monsieur le directeur des Académies, Salim Bhatia,
Monsieur le directeur de l'Académie de Hyderabad, Dr Geoffrey Fisher,
Chers invités d'honneur,
Chers parents et élèves de la promotion 2019,

N’étant ni une célébrité ni un invité spécial, j’aimerais commencer cette allocution en vous parlant quelques instants de mon parcours. J’ai grandi dans le sud de l’Inde, à l’époque où Indira Gandhi, la grand-mère de Rahul, était au pouvoir. M. G. Ramachandran, dont j’adorais les films d’action quand j’étais enfant, était le Premier ministre du Tamil Nadu. J’ai étudié la pratique du mridangam.

J’ai fréquenté un pensionnat indien un peu comme le vôtre. J’étais un jeune homme ambitieux et ai donc déménagé aux États-Unis pour y étudier la littérature. Je suis ensuite parti en Suisse. En cours de route, j’ai travaillé dans l’édition, dans le marketing pour le secteur commercial, puis dans la communication pour le Réseau Aga Khan de développement (AKDN). J’ai publié deux livres sur l’histoire culturelle du Maroc. J’ai eu deux fils avec ma première femme, qui est décédée. J’ai été victime d'une crise cardiaque. Je me suis remarié et ai eu deux autres fils. Et j’ai maintenant près de 60 ans.

Cette vie mouvementée et bien remplie suggère donc que j’aurais dû apprendre de nombreuses choses importantes en cours de route, et que j’aurais donc quelque chose à vous transmettre aujourd'hui, comme les conférenciers des remises des diplômes ont tendance à faire, quelque chose de précieux, une approche de la vie qui pourrait vous parler.

À ce moment charnière de vos parcours, j’aimerais vous faire comprendre l’importance de faire preuve d’éthique dans votre vie. Dans la mienne, j’ai appris qu’il était bien mieux - pour soi-même et pour la société - de faire ce qui était juste, même si ce qui est juste est parfois difficile à accomplir.

Étant donné que beaucoup d’entre vous vont désormais poursuivre des études supérieures, j’aimerais commencer en vous parlant d’une expérience menée au Séminaire théologique de Princeton dans les années 1970. Cette expérience a été conçue sur la base de l’histoire du Bon Samaritain, qui raconte comment un homme malchanceux a été battu et laissé pour mort par des voleurs. Alors qu’il est à l’agonie, cet homme voit plusieurs personnes passer près de lui et l'ignorer, avant que quelqu'un ne s’arrête enfin pour lui venir en aide. Vous connaissez peut-être déjà cette histoire, car c’est un classique dans de nombreuses sociétés. Il existe même des lois qui sont judicieusement appelées « lois du Bon Samaritain » ... Mais revenons à l’histoire de Princeton.

Dans les années 1970, donc, on demanda à des étudiants d’une classe en particulier d’écrire une dissertation sur le Bon Samaritain. Leur travail terminé, on leur demanda ensuite d’aller de l’autre côté du campus et de présenter leurs écrits. Certains reçurent la consigne de se dépêcher, tandis que d’autres ont été invités à prendre leur temps.

Alors qu’ils se rendaient de l’autre côté du campus, un homme qui avait l’air d’avoir été battu par des voleurs et qui semblait mourant avait été placé sur leur chemin.

L’expérience visait à déterminer qui s’arrêterait pour aider l’homme en question, et qui serait donc le fameux « Bon Samaritain ». Les chercheurs observèrent une corrélation entre l’urgence des étudiants et le pourcentage de personnes ayant aidé l’homme. Les étudiants pressés furent peu à s’arrêter : seulement 10 % d’entre eux vinrent en aide à l'homme. En parallèle, 40 % des étudiants qui n’étaient pas pressés l’aidèrent.

Ce qui est peut-être le plus surprenant, c’est que 60 % des étudiants qui avaient le temps ne se sont pas arrêtés.

Cette recherche soulève donc la question suivante : est-ce plus important de venir en aide à un autre être humain... ou d’agir dans votre propre intérêt ? Je dirais qu’à l’époque actuelle, il est plus que jamais important d’être une personne qui prend du temps pour venir en aide à un étranger dans le besoin, d’être une personne qui fait ce qui est juste. C’est l’essence même de la notion d’éthique.

Mais comment définit-on exactement le fait de faire preuve d’éthique ? Mes parents, un chirurgien et une infirmière, ont constitué à mes yeux un exemple discret et humble. La Règle d’or, selon laquelle il faut traiter les autres comme nous voudrions être traités, est un autre exemple. J’ai eu l’occasion d’être guidé dans cette voie par le cadre éthique de l’organisation pour laquelle je travaille, le Réseau Aga Khan de développement.

La première éthique de ce cadre est celle de la compassion. Selon cette valeur, « les pauvres, les dépourvus et ceux en marge de l’existence ont un droit moral de compassion de la part de la société ». Prenez quelques instants pour réfléchir à ce principe révolutionnaire : les pauvres ont un droit moral de compassion de la part des autres. Ce principe s’applique à de nombreux endroits et à de nombreuses choses : les hôpitaux et les écoles, par exemple, mais aussi la conduite et le travail du gouvernement, d’ONG et d’entreprises.

L’une des conclusions est que la compassion doit être appliquée d'une manière qui ne compromet pas la dignité d'une personne. Nous devons ainsi respecter la dignité de chacun et éviter de créer une culture de dépendance en donnant trop. Cela me fait irrémédiablement penser à Amartya Sen, qui a écrit « Poverty and Famines: An Essay on Entitlement and Deprivation » (Pauvreté et famines : un essai sur le droit et la privation) en 1981.

En étudiant la famine du Bengale de 1943, au cours de laquelle trois millions de personnes sont mortes, Sen estima que la famine n’était pas uniquement le résultat d’un manque nourriture, mais aussi des inégalités dans la distribution alimentaire. Ce fut une contribution décisive à l’étude de la famine. Il est important de rappeler que, après cet épisode de famine, certaines personnes du gouvernement indien ont travaillé afin de pallier ces inégalités de distribution et ont permis de sauver des millions de vies. Il n'y a pas eu de plus GRANDE famine que celle du Bengale depuis l’indépendance.

Mais trouver de telles solutions nécessite l'intervention de personnes intelligentes, et je compte sur chacun d’entre vous dans ce groupe à cet égard. Soyez reconnaissants pour l’intelligence qui vous a menés jusqu’ici dans votre vie. Rappelez-vous que faire preuve d’éthique implique également que vous entreteniez votre esprit brillant et votre santé mentale. Beaucoup d’entre vous mènent une vie qui sera importante pour nous tous. Votre esprit est votre cadeau au monde.

En tant que personnes intelligentes, vous avez également la responsabilité de vous impliquer dans les enjeux modernes. Pour y parvenir de manière efficace, vous devez posséder les compétences en leadership, la sagesse et les connaissances, et bien sûr un esprit clair, nécessaires pour prendre les décisions qui auront un impact sur la vie de millions de personnes, en Inde et dans le monde.

Je pense que l’Académie a été implantée ici pour une bonne raison. La société est mieux servie lorsqu'elle offre l'espace et les moyens permettant aux êtres humains d'exploiter leur plein potentiel, quel que soit leur milieu d'origine. L’éducation et la recherche sont considérées comme des moyens par lesquels les individus et les sociétés atteignent ce plein potentiel. Cette école est donc pour vous, et pour la société dans son ensemble, un moyen d’exploiter tout votre potentiel, et le sien.

J’ajouterais par expérience qu’il est plus simple de maximiser le potentiel de chacun dans des sociétés qui acceptent la diversité. Voilà pourquoi nous devons défendre cette importante valeur. Lorsque nous ne célébrons pas la diversité, nous fermons les portes à certaines personnes qui pourraient jouer un rôle vital dans la société. Dans les Upanishads, il est dit que « celui qui voit les créatures dans son vrai Soi fait disparaître la jalousie, le chagrin et la haine ». Dans le Coran, il est dit : « l’humanité a été créée à partir d'un seul être, mâle et femelle, il y a des nations et des tribus afin de vous connaître mutuellement ». Le plus important commandement des chrétiens est d’« aimer son prochain comme soi-même ».

Une société diversifiée et inclusive est aussi une société dans laquelle nous pouvons vivre. En termes simples, nous ne devons pas détruire la planète. Il est plus que jamais vital de changer notre façon de penser quant à l'impact de nos décisions sur l’environnement. J’ai par ailleurs découvert avec joie que des enfants de primaire avaient organisé une campagne contre l’usage de plastique.

Si nous voulons sauver notre foyer commun et permettre à votre génération de vivre dans un environnement social et physique sain et durable, nous avons besoin de votre aide. Vos solutions nous aideront à nous sortir de ce chaos. Je suis heureux de dire que j’ai rencontré hier plusieurs élèves qui, je pense, ont cette capacité, et agiront dans ce sens.

Et lorsque l’on atteint une position de pouvoir pour accomplir quelque chose, lorsque l'on a les moyens de sauver notre planète ou d’avoir un impact positif sur notre monde, il est de notre responsabilité non seulement d’agir, mais aussi d’être de bons intendants des ressources qui sont destinées aux autres. Nous devons être dignes de confiance et responsables.

Je pense avoir couvert le cadre éthique qui guide notre travail.

Je reviens donc à cette histoire du Bon Samaritain. La plupart des personnes s’arrêtent à l'histoire et ne se penchent pas sur la personne qui vient en aide, le Samaritain. Saviez-vous que les Samaritains, qui représentaient autrefois un groupe de personnes relativement important, ont été tués lorsqu'ils se sont soulevés contre l’Empire byzantin ? Leur nombre a encore plus chuté à la suite de la conversion au christianisme et à l’islam. Au 12e siècle, ils étaient moins de 2 000 à travers le monde.

Toutefois, leur histoire d’altruisme vit toujours. Pensez à certains Bons Samaritains des temps modernes, comme Gandhi ou Nelson Mandela. Ces personnes nous inspirent, car elles incarnent la notion d’éthique. Elles ont choisi de faire ce qui est juste et ont fait de grands sacrifices à cet égard...

Elles ont défendu le bien commun plutôt que d’agir dans leur propre intérêt. Elles n'ont pas choisi la solution de facilité, elles ont choisi ce qui était juste. C’est cet esprit de donner généreusement de sa personne qui rendra notre monde meilleur.

Comme Son Altesse l'Aga Khan l’a dit il y a plus de 40 ans :

« Que ce soit dans un bureau gouvernemental, une entreprise ou une agence de développement privée, nous avons tous été témoins d’exemples de la plus belle création de Dieu, la personne dont l’inspiration la pousse à donner généreusement d’elle-même et à aller au-delà des exigences mécaniques d'une tâche particulière. De telles femmes et de tels hommes, payés ou non, incarnent l’esprit de volontariat, littéralement la volonté de rendre un produit meilleur, une école plus performante, une clinique plus compatissante et plus efficace. Leur esprit, qui engendre de nouvelles idées, résiste au découragement et exige des résultats, anime le cœur de toute société efficace. »

Je pense que le message ici est clair :

  • Soyez des leaders éthiques.
  • Soyez humbles.
  • Donnez généreusement de votre personne.

Pour conclure ce discours et vous féliciter pour vos impressionnants résultats et l’avenir brillant qui vous attend, il me semble bon de vous rappeler comment j’ai commencé ce discours, en vous parlant des tumultes de ma vie. La plupart des personnes connaîtront des moments de joie et des moments de peine au cours de leurs vies. J’ai donc pensé vous quitter sur quelques mots de Rûmî, le grand poète persan du 13e siècle. Il s’agit d'un poème que j’ai envoyé à mes propres fils lorsqu’ils se sont retrouvés face aux difficultés de la vie : lorsqu’ils n’ont pas été acceptés dans une université en particulier, qu'ils avaient raté un entretien d’embauche, ou qu'ils ne s’entendaient plus avec leur petite-amie. Et j’espère qu’il sera pour vous une source d'inspiration, dans les bons jours comme dans les mauvais jours, alors que vous continuerez de tracer votre propre chemin. Il s'intitule « La maison d'hôtes » :

Être humain, c'est être une maison d'hôtes.
Tous les matins arrive un nouvel invité.
Une joie, une dépression, une méchanceté,
une prise de conscience momentanée vient
comme un visiteur inattendu.
Accueillez-les tous et prenez-en soin !
Même s'ils sont une foule de chagrins,
qui balaient violemment votre maison
et la vident de tous ses meubles,
traitez chaque invité honorablement.
Peut-être vient-il faire de la place en vous
pour de nouveaux délices.
La pensée sombre, la honte, la malice,
rencontrez-les à la porte en riant, et invitez-les à entrer.
Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent,
parce que chacun a été envoyé
comme un guide de l'au-delà.

(Traduction par Christian Jambet (Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique))

Merci.