Vous êtes ici

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  • « Nous devons mobiliser de très nombreux militants écologistes actifs, passionnés et courageux », a déclaré le climatologue et auteur Peter Kalmus, invité spécial de la cérémonie. « Nous devons nous rassembler avec courage, conviction et créativité pour arrêter le météore qui fonce droit sur nous. Personne n’est à l’abri du réchauffement planétaire. Personne, sur cette minuscule planète interconnectée d’un bleu pâle, ne peut s’en protéger. »
    AKU
La cérémonie internationale de remise des diplômes de l’Université Aga Khan

Son Altesse l’Aga Khan ;

Princesse Zahra Aga Khan ;

Monsieur l’invité d’honneur, Dr Peter Mathuki, secrétaire général de la Communauté d’Afrique de l’Est ;

Monsieur le président Zakir Mahmood et les membres du conseil d’administration ;

Monsieur le président Moyez Alibhai et les membres du conseil universitaire de l’AKU au Kenya ;

Monsieur le président et vice-chancelier Sulaiman Shahabuddin ;

Mesdames et Messieurs ;

Et surtout, à vous tous, chers diplômés :

Bonjour et félicitations. C’est un honneur de m’exprimer face à vous aujourd’hui à l’occasion de cet heureux événement. Bravo à tous ! Je partage votre engagement à améliorer la vie de tous les êtres humains qui peuplent la Terre. Je tiens à saluer le travail qu’accomplit l’Université Aga Khan (AKU) pour améliorer la qualité de vie dans le monde en développement, ainsi que les efforts que déploient le prince Rahim et le Réseau Aga Khan de développement (AKDN) dans la lutte contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement.

De mon point de vue, il s’agit d’une période bien curieuse dans l’histoire de notre planète, vieille de quatre milliards et demi d’années, pour prononcer des discours de remise des diplômes. 

À travers mes yeux de climatologue, je vois un météore se diriger droit sur notre belle planète, mais je ne vois pas encore la société ou les dirigeants de notre monde se mobiliser pour y mettre un frein. Les énergies fossiles réchauffent notre planète à raison d’un dixième de degré Celsius tous les cinq ans. Cela peut de prime abord sembler dérisoire, mais qu’une planète entière se réchauffe si rapidement est aussi stupéfiant que terrifiant.

Les catastrophes que nous subissons actuellement ne sont qu’un début. À chaque fois que la Terre se réchauffe d’une fraction de degré, la fréquence et l’intensité des catastrophes climatiques augmentent irrémédiablement. Comme des coups de poing dans notre société mondiale, elles mettront de plus en plus à l’épreuve les infrastructures, les écosystèmes et les systèmes économiques, énergétiques, alimentaires, hydriques et politiques. 

La cause immédiate de la destruction du climat est la combustion des énergies fossiles. Avant l’existence de cette industrie, la planète était dans un état d’équilibre énergétique. Cela signifie qu’il arrivait autant d’énergie sous forme de lumière solaire sur la planète qu’il en repartait dans l’espace. Ce phénomène maintenait une température constante sur terre. La combustion du gaz, du charbon et du pétrole a malheureusement changé cette situation et continue aujourd’hui à déséquilibrer toujours plus notre planète, provoquant son réchauffement.

Cette crise est en grande partie due à l’activité des pays de l’hémisphère nord, mais ce sont pourtant ceux de l’hémisphère sud qui sont les premiers et les plus durement touchés. Malheureusement, de puissantes composantes font tout ce qu’elles peuvent pour bloquer toute forme d’action, et ce dans leur unique intérêt. Alors, que pouvons-nous faire ?

C’est une question qui me taraude depuis très longtemps.

Il y a 16 ans, j’étais encore doctorant en physique à New York. En amoureux de l’univers et de ses mystères, j’étais ravi de participer enfin à la noble quête de la connaissance humaine. À l’époque, je m’intéressais à la cosmologie, cherchant des réponses aux plus grandes questions : d’où venons-nous et où allons-nous ?

Mais cette même année, en 2006, deux changements majeurs sont survenus dans ma vie. Premièrement, je suis devenu papa, une expérience qui m’a fait grandir et me tourner vers l’avenir. Deuxièmement, j’ai assisté à une conférence sur le fait que la Terre était en déséquilibre énergétique et se réchauffait. Cette conférence m’a ébranlé. « Notre planète, en déséquilibre énergétique ? C’est une nouvelle absolument catastrophique, c’est peut-être même le chapitre le plus important de l’histoire de la Terre. » C’était le cas à l’époque, et ça l’est encore plus aujourd’hui.

À partir de ce moment, j’ai commencé à me renseigner sur le changement climatique. J’ai essayé de convaincre mon université de passer à l’énergie éolienne. Malheureusement, je n’ai trouvé qu’une seule autre personne sensible à ma cause sur le campus, et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. À l’époque, personne ne se souciait du changement climatique. Les normes sociales relatives au climat n’avaient en effet pas encore commencé à évoluer. 

Mais que sont les normes sociales, me demanderez-vous ? Elles se traduisent généralement par des convictions communes non exprimées, mais très puissantes. Elles représentent en quelque sorte le subconscient de notre société. Par exemple, nous vivons dans l’idée qu’il est normal de brûler des énergies fossiles. Bien sûr, c’est une pratique qui détruit notre planète, mais c’est quelque chose de normal, car après tout, tout le monde le fait.

Si nous considérons les normes sociales comme un océan, alors nous sommes les poissons. Nous nageons dedans en continu. Elles créent la société, façonnent ses systèmes et ses structures dirigeantes, et pourtant, la plupart du temps, nous ne les remarquons même pas. Elles sont en partie responsables de l’effondrement du climat et de l’écologie, mais également de l’absence sidérante de réaction de l’humanité. La rapidité avec laquelle nous parviendrons à modifier ces normes déterminera en grande partie la teneur de ce que nous pourrons encore sauver.

Au fil des ans, ma frustration et mon inquiétude n’ont fait que croître devant l’inaction manifeste face au changement climatique. En 2010, je ne pouvais plus accepter de contribuer à la combustion d’énergies fossiles. Le lien entre ces combustibles et l’aggravation des impacts du changement climatique n’était que trop évident. J’ai donc commencé à réduire mes émissions de manière systématique et en adoptant une approche scientifique. J’ai commencé par le plus important, à savoir les transports. J’ai entre autres choses arrêté de voyager en avion, troqué ma voiture contre un vélo et réduit la consommation d’énergie chez moi. J’ai tiré trois précieux enseignements de ces changements. Premièrement, j’ai éprouvé un certain amusement à m’efforcer de vivre avec moins d’énergies fossiles. Cela a éveillé ma curiosité, m’a fait développer de nouvelles passions et m’a fait rencontrer de nouvelles personnes. Deuxièmement, j’ai remarqué la façon dont nous dépendons tous de vastes systèmes impersonnels pour répondre à l’ensemble de nos besoins quotidiens, que ce soit pour la nourriture, l’eau, nos vêtements, les rues que nous empruntons - vraiment tout. Pour parvenir à arrêter complètement d’utiliser des énergies fossiles, tous ces systèmes vont devoir évoluer. Troisièmement, j’ai constaté que très peu de personnes étaient réellement prêtes à me suivre.

Lorsque j’ai commencé, j’espérais que mes actions inspireraient les autres. Mais je dirais que, grossièrement, une personne sur cent est prête à réduire ses émissions de manière systématique. C’est certes une bonne chose, mais ce n’est tout simplement pas suffisant en soi.

En 2012, mon inquiétude était telle que je n’arrivais plus à me concentrer sur l’astrophysique, et je me suis donc tourné vers la climatologie. J’ai également commencé à prendre la parole autant que je le pouvais. À l’époque, nombreuses furent les personnes à me dire que les scientifiques n’étaient pas censés s’exprimer, un conseil que je n’ai évidemment pas suivi. Comment pourrais-je rester muet en voyant ce que je vois et en sachant ce que je sais ?

Nous devons nous aider mutuellement à ouvrir les yeux, et rapidement. Nous devons mobiliser autant de militants écologistes que nous le pouvons. Nous devons bâtir un mouvement mondial pour le climat qui soit plus fort que l’industrie des énergies fossiles. Nous devons mobiliser de très nombreux militants écologistes actifs, passionnés et courageux. Nous devons nous rassembler avec courage, conviction et créativité pour arrêter le météore qui fonce droit sur nous. Personne n’est à l’abri du réchauffement planétaire. Personne, sur cette minuscule planète interconnectée d’un bleu pâle, ne peut s’en protéger. Le seul moyen de nous en sortir est d’arrêter cette industrie, ce qui nécessitera de profonds changements dans l’organisation de l’humanité et de la société, mais également dans la façon dont nous vivons sur la Terre. 

Entreprendre un travail sur le climat sera la principale tâche de l’humanité pour le reste de ce siècle : guérir la Terre, restaurer les espaces sauvages, s’adapter aux nouvelles catastrophes et déterminer comment cohabiter avec les autres espèces présentes, qui ont tout autant le droit d’être sur cette planète que nous. Pour ce faire, nous devrons construire des infrastructures et inventer des technologies. Nous devrons mettre en place de nouveaux cadres juridiques, moraux et même spirituels. Nous devrons créer une nouvelle forme d’art, concevoir une nouvelle économie et raconter de nouvelles histoires. Les institutions devront concevoir de nouvelles disciplines et de nouveaux modes de pensée, réduire rapidement leurs émissions, sensibiliser le grand public et ouvrir la voie à un changement social. L’AKU joue déjà un rôle extrêmement important à cet égard dans les pays de l’hémisphère sud et doit poursuivre sur sa lancée.

Nous avons également besoin de vous, diplômés de l’Université Aga Khan. Vous qui faites partie des personnes les plus brillantes que le monde ait à offrir, je vous encourage à consacrer vos vies à résoudre la crise la plus importante que l’humanité ait jamais connue. Contribuez à la production de connaissances et d’innovations à l’échelle mondiale. Exigez une justice climatique. Ayez le courage d’agir à contre-courant pour le bien de la planète. Soyez la voix de ceux qui n’en ont pas, de toutes les espèces au bord de l’extinction et des générations futures. 

Avant que la situation ne puisse s’améliorer, les catastrophes climatiques vont irrémédiablement s’aggraver. Mais nous pourrions arrêter tout cela si nous faisions le choix collectif de considérer la dégradation de notre climat comme une urgence. Imaginez un avenir où nous avons franchi ce cap, où la Terre, bien vivante, guérit doucement, et que notre espèce, dont la disparition était imminente, a retrouvé raison au dernier moment. Imaginez l’énorme sentiment de solidarité mondiale, et même de solidarité cosmique avec toute forme de vie dans l’univers qui en découlerait. Mon rêve est de vivre à une époque où nous sommes enfin sur la bonne voie, où nous nous dirigeons vers une humanité plus mature, plus respectueuse et plus reconnaissante, heureuse d’être simplement ici, sur cette Terre, tel un fil dans la tapisserie de la vie. 

Je sais qu’il est possible de créer un monde bien meilleur. Aucune loi de la physique ne l’empêche. Nous sommes les seuls à pouvoir agir en ce sens. C’est le voyage d’une vie, et vous en êtes tous les passagers. Alors, prenez place et préparez-vous à agir.