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  • His Highness the Aga Khan addressing the audience before receiving Le Nouvel Economiste's "Prix de l'Entrepreneur philanthropique de l'année 2009 - Philanthropic Entrepreneur of the Year 2009 Award".
    AKDN / Gary Otte
Discours de Son Altesse l'Aga Khan à la Cour des comptes, palais Cambon

Bismillah-ir-Rahman-ir-Rahim

Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Député,
Mesdames et messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Recteur,
Monsieur le Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances,
Mesdames et messieurs les Hauts représentants de la
Présidence de la République, du Ministère des affaires
étrangères et européennes, du Ministère de l'intérieur et de la
Mairie de Paris,
Mesdames et messieurs les Hautes personnalités,
Monsieur le Président du directoire de M6,
Monsieur le Rédacteur en chef Madame la Directrice déléguée,
Mesdames, Messieurs,

Mes premiers mots seront pour vous dire combien je me sens honoré de recevoir le prix Nouvel Economiste de l'entrepreneur philanthropique de l'année 2009, dans ce magnifique Palais Cambon.

His Highness addresses the audience at the ceremony.Je remercie tout particulièrement Madame Tchakaloff, pour ses mots très aimables, ainsi que toute l'équipe de rédaction dirigée par Monsieur Nijdam, pour avoir porté leur choix sur mon nom. Tous mes remerciements vont aussi au parrain de cette cérémonie, et je me tourne ici vers vous Monsieur le Premier Président, qui nous faites le plaisir de nous recevoir chez vous. Je salue naturellement aussi Madame la Ministre des finances, qui durant son voyage au Liban et en Syrie nous adresse par la voix de Madame Cotta un message si chaleureux. Merci.

Je me tourne aussi vers Son Excellence le Recteur Dalil Boubakeur, que je suis heureux de retrouver et qui, à des moments particuliers de ma vie en France, m'a apporté fraternité et conseils. Je salue aussi en lui la Grande Mosquée de Paris, que ma famille et moi considérons avec la plus grande amitié et le plus grand respect, et je lui exprime ma reconnaissance pour tout ce qu'il a fait pour les musulmans de France.

Permettez que j'en vienne directement à mon propos, qui est de vous faire partager l'expérience acquise au fil des cinq décennies qui viennent de s'écouler, au cours desquelles le Réseau Aga Khan pour le développement a été construit (j'utiliserai l'acronyme anglais – excusez-moi -'AKDN' pour le désigner).

Je centrerai mon exposé sur la stratégie que nous mettons en œuvre, ce qui me permettra de cerner la notion d'entreprise philanthropique.

Quelques chiffres d'abord: 

- la Fondation AKDN, entité faîtière, coordonne les activités des plus de 200 organismes et institutions qui composent le réseau, au sein desquelles 70.000 salariés et 100.000 bénévoles agissent quotidiennement ;

- par ailleurs, le réseau intervient dans 35 pays parmi les plus pauvres du monde, dans un cadre statutairement laïque.

Cette photographie n'est bien sûr qu'un moment dans une dynamique, mais ses contours sont aujourd'hui suffisamment précis pour que l'on puisse parler d'objectif, de stratégie et de méthode.

L'objectif est clair : il s'agit de créer ou de renforcer la société civile dans les pays en voie de développement. Cet objectif unique, lorsqu'il est atteint, est en effet nécessaire et suffisant pour assurer un développement serein et stable dans la longue durée, même quand la gouvernance est problématique.

Quant à la stratégie, il est évident qu'une société civile ne peut exister en l'absence d'institutions civiles apolitiques et laïques, en particulier des institutions sociales, culturelles et économiques. L'essence de la stratégie du développement est donc de les créer là où elles sont absentes ou doivent grandir.

Enfin, la méthode. Elle consiste en premier lieu à valider la question de savoir s'il est opportun de créer l'institution, puis, si la réponse est positive, rassembler les moyens humains et financiers nécessaires pour la créer.

Au sein d'AKDN, il existe deux catégories d'organisations qui ont en commun l'objectif de soutenir le développement : celles qui ont un but lucratif (rassemblées au sein du Fonds Aga Khan pour le développement, connu sous le nom d'AKFED), et celles que j'appellerai 'para-entreprises', sans but lucratif, dont l'objet est social ou culturel.

La raison de cette dualité est qu'une société civile ne peut naître uniquement de la création d'entreprises ou seulement de la création d'hôpitaux, d'écoles ou d'universités, ou encore de lieux de culture.

C'est cette dualité entre entreprise et para-entreprise que je vous présenterai.

Tout d'abord je vous dirai que les deux obéissent à certaines règles communes.

En premier lieu, elles doivent mettre en œuvre les meilleures pratiques de gestion du moment dans leurs domaines respectifs de compétence et rester à jour en la matière.

Parmi ces pratiques on peut en noter une, particulièrement difficile à acquérir, à savoir la capacité à résister aux crises.

Une autre règle commune est qu'elles doivent être conçues pour avoir des effets bénéfiques mesurables sur les populations concernées, l'objectif étant en général les populations les plus pauvres et, parmi elles, les ruraux.

Egalement, je noterai la règle selon laquelle il faut non seulement ne pas écarter mais souvent même rechercher des projets localisés dans des pays qui sortent de conflits internes ou internationaux, ou encore qui se trouvent dans un processus de modification de leurs fondamentaux économiques. En effet, c'est dans ces circonstances que les populations les plus pauvres requièrent le plus d'attention.

Tout ceci demande des compétences très particulières et une implication d'AKDN sur le très long terme, ne serait-ce que pour s'assurer que la culture managériale est devenue assez forte pour que les réflexes de 'meilleures pratiques' s'ancrent vraiment.

Pour parler maintenant des entreprises d’AKFED, celles qui sont à but lucratif, il s'agit d'environ 150 entreprises réparties dans une quinzaine de pays. Elles emploient plus de 30.000 personnes et génèrent deux milliards de dollars de chiffre d'affaires.

Elles font vivre indirectement des millions de personnes, en particulier dans le secteur agro-industriel. Pour donner un exemple, AKFED a développé la culture du haricot vert au Kenya en fournissant à 50.000 paysans une assistance technique et en leur achetant leur production pour l'exporter en Europe. L'entreprise emploie 2.000 salariés, est rentable et fait vivre indirectement 500.000 personnes.

Les entreprises AKFED obéissent à des règles spécifiques. Je voudrais en évoquer deux, qui sont essentielles.

La première est que les investissements AKDN dédiés aux projets AKFED doivent, dans la généralité des cas, prendre la forme de participations en capital à très long terme. Nous voulons en effet éviter les risques d'endettement excessif.

La seconde est que la part d'AKFED dans les bénéfices doit être totalement réinvestie dans les projets du groupe. Il s'agit là d'une caractéristique fondamentale des projets AKFED, la règle étant que les retours sur investissement doivent bénéficier aux populations des pays concernés et à elles seules.

Ces actions dans le domaine de l'économie productive ne suffisent pas pour créer ou renforcer la société civile. Il y faut les para-entreprises, qui sont essentielles au point que l’AKDN engage quatre fois plus de ressources dans ce secteur que dans le secteur à but lucratif.

Les para-entreprises sont conçues pour être économiquement autonomes. Un réseau urbain et rural d'une centaine d'écoles, comme celui que nous gérons au Pakistan, un hôpital universitaire comme l'hôpital Aga Khan à Nairobi et un parc comme celui de Al-Azhar au Caire, peuvent ainsi parfaitement être conçus de manière à créer des surplus pour assurer leur survie et leur développement, dès lors qu'une réflexion entrepreneuriale sous-tend le processus de création puis de la gestion courante. Cette notion de surplus, il faut le noter, n'est en rien contraire au statut sans but lucratif des para-entreprises.

Quoi qu'il en soit, une des conditions pour qu'une para-entreprise parvienne à l'autonomie économique est que son coût de création soit couvert par un don définitif d'AKDN et, le cas échéant, de ses partenaires, en général des institutions financières de développement, nationales ou internationales.

Je souhaite ne pas excéder le temps qui m'est imparti mais je voudrais terminer en soulignant que l'une des fonctions importantes qui est assignée à l'organisation faîtière du réseau, la Fondation AKDN, est de travailler de façon rapprochée avec les Gouvernements des pays avec lesquels nous coopérons.

Ce travail est particulièrement intense avec la France et je suis heureux de vous dire que la Délégation française de la Fondation AKDN, la plus importante de toutes, a signé en 2008 avec la République française et l'Agence française de développement une Convention de coopération en faveur de 23 pays en développement, dans tous les domaines d'activité de l'AKDN.

Cette très brève présentation successive des entreprises et des para-entreprises ne doit pas conduire à la conclusion que les deux ne s'interpénètrent pas. Au contraire, leur appartenance commune à AKDN permet aux deux systèmes de s'épauler mutuellement.

C'est ainsi qu'une entreprise commerciale ou industrielle d’AKFED peut créer des fonds de dotation, par exemple pour subventionner l'accès de populations pauvres à des services médicaux de haut niveau ou encore pour aider une des banques de micro-finance du réseau.

Les para-entreprises en contrepartie créent un terrain favorable au développement des entreprises AKFED, en contribuant massivement à la construction de la société civile.

Bien sûr les grands principes d’AKDN sont difficiles à mettre en œuvre et nous avons subi des déconvenues. Les réussites sont cependant suffisamment nombreuses pour nous convaincre de conserver le cap.

Pour dire les choses autrement : le développement, ça marche !

Je suis très heureux de vous montrer comment, sur la base de quelques principes finalement assez simples mais atypiques, nous essayons de réduire le malheur dans le monde et de participer à la création de sociétés civiles pacifiques, éclairées et fières de leurs cultures.

Enfin, et c'est un clin d'œil, j'espère vous avoir convaincu que je ne suis pas un entrepreneur au sens classique, ni un philanthrope au sens traditionnel, et que, dès lors, je ne méritais peut-être pas ce prix.